Interview exclusive de A Güler membre du Comité Central du Parti Communiste (Turquie) Initiative Communiste
Initiative Communiste : Cher camarade peux-tu nous exposer synthétiquement l’analyse de la situation en Turquie que fait le PC (de Turquie) ?
Dès le premier gouvernement fondé en 2002, l’AKP (parti islamiste dont le nom est littéralement « parti de la justice et du développement ») signifiait un défi contre le régime laïque, déjà trop fatigué et déformé par la politique bourgeoise, surtout depuis le coup d’état de 1980. Les militaires soi-disant kémalistes, fortifièrent la réaction religieuse afin de mieux combattre la gauche et les classes laborieuses, ainsi ils établirent une idéologie officielle nommée « synthèse turco-islamiste. »
C’était au milieu des années quatre-vingt-dix que pour la première fois en Turquie le parti islamiste devint le premier parti des scrutins, gagnât les municipalités des deux plus grandes villes, Istanbul et Ankara, sans parler des dizaines de municipalités des villes dispersées en Anatolie, et forma un gouvernement de coalition. Ce parti était celui qui donnerait naissance à l’ AKP, et Erdoğan était élu le maire d’Istanbul.
La scène politique de ce temps-là ressemblait, dans un sens à celle de France d’aujourd’hui, « l’ordre établi » réunissant les courants centriste, social-démocrate, libéral etc. (même pro-kurde comme ce dernier se classifie ou bien comme social-démocrate, ou bien comme libéral !) et la critique des islamistes contre cet ensemble hétérogène, était bien sûr une critique démagogique mais très aiguë.
Les manœuvres des « centristes », qu’il était presque impossibles d’appeler laïques mais cherchaient seulement à limiter l’islamisme en pleine croissance, poussèrent au contraire les masses vers les rangs islamistes. La crise politique au tournant du siècle terminât par les élections de 2002, nettement gagnées par l’AKP, nouvellement créé et qui défendait non seulement un retour à l’islam mais signifiait aussi le mariage de ce dernier avec le néo-libéralisme et les intérêts régionaux états-uniens, ainsi que l’intégration ou plutôt soumission de la Turquie à l’UE.
Il faut aussi souligner que l’islamisation de la Turquie fait partie d’un modèle impérialiste global, et ne peut point être considéré comme un phénomène propre à la société turque. Au contraire, les gains historiques des forces séculaires et de gauche, surtout les domaines culturel et idéologique, n’étant pas négligeables, prépareraient le mouvement de Gezi Parc en 2013, que le PC appelle la « résistance de juin. »
La question exposée n’est pas que la majorité de la population est pour un régime islamiste, mais que les forces laïques et populaires sont trahies par la politique bourgeoise surtout social-démocrate et kémaliste et ne sont pas représentées dans la scène politique. La résistance de juin n’arrivât qu’après la défaite de la république séculaire de 1923. La république bourgeoise et laïque de 1923 est impossible à restaurer, mais d’autre part, il n’est pas du tout facile de la remplacer par un régime néo-ottomaniste et islamiste. La crise politique continue toujours et les classes dirigeantes, ainsi que l’impérialisme cherchent une solution de gouvernance de la Turquie, qui s’approche de jour en jour d’une explosion de type de guerre civile.
La position communiste se résume en « république socialiste » qui ne pourra être obtenue que par la voie d’une révolution socialiste. 1923 est mort et la classe ouvrière ne laissera pas gagner une « deuxième république », refus total des acquis modernes et historiques du pays.
Initiative Communiste : Quelle est votre appréciation de la situation régionale, avec la question syrienne, la tension entre puissances régionales et les interventions impérialistes ?
Le PC et l’Association de la Paix, membre du Conseil Mondial de la Paix, organisèrent des manifestations, mobilisèrent les masses pendant toutes ces dernières années durant lesquelles les principaux dirigeants du pays commirent de graves crimes de guerre.
Au début la politique extérieure de l’AKP fut présentée sous le titre de néo-ottomanisme, ce qui fut trouvé inconvenant pour les peuples voisins et l’équilibre actuel des forces dans la région. En bref Ankara ne peut pas assumer un rôle hégémonique au Proche-Orient.
Ce qui reste de l’ottomanisme, ce sont les politiques aventuristes de l’AKP, au nom de l’impérialisme occidental en général, spécifiquement des États-Unis. La confrontation turco-russe n’est pas une action et décision indépendante, mais la Turquie s’instrumentalise dans le cadre des opérations impérialistes, comme c’était le cas du soutien donné à l’État islamique et à d’autres organisations djihadistes. La Turquie d’Erdoğan, c’est justement l’outil pour les affaires sales auxquelles les « démocraties occidentales » ne veulent intervenir directement.
Les actes d’Ankara assez provocants et très risqués par nature, sont le prix payé par la Turquie, du soutien continuel du capitalisme mondial sans lequel l’AKP serait incapable de maîtriser la crise politique et aussi le potentiel de crise économique.
Il faut ajouter aussi que les politiques extérieure et intérieure forment un tout inséparable, comme la politique de guerre doit être accompagnée de l’islamisation de la société. L’État islamique est depuis quelque temps un problème interne ; nous avons notre EI à nous, qui sert à son tour à militariser la vie sociale et politique du pays, à réprimer les forces d’opposition, soit des classes laborieuses soit du mouvement pro-kurde.
Le risque de guerre est bien vivant et multidimensionnel en Turquie. La défense de la paix est un article primordiale de notre lutte. Actuellement l’Association de la Paix (AP) prépare un rapport approfondi sur les crimes de guerre commis par l’AKP. L’AP avait déjà organisé des conférences internationales de paix en 2012 et 2013 à Istanbul et Hatay (Antioche), province voisine de la Syrie.
Pour finir, je veux souligner que nous admettons que l’intervention russe sert à freiner les forces de la réaction et de l’impérialisme, y compris le gouvernement turc, mais le principal rôle pacifiste attend toujours l’intervention active et organisée des peuples et des classes ouvrières et des partis laïcs, anti-impérialistes, révolutionnaires et communistes de la région.
Initiative Communiste: Comment le PC(T) envisage-t-il la question kurde ?
Le PC(T) se définit non comme un parti « turc », mais le parti de la classe ouvrière qui est composée des ouvriers de différentes origines nationales ou ethniques, surtout turques et kurdes. La question kurde est en général vue comme un problème qu’on doit être résolu « avant » tout autre problème, afin qu’il devient possible de s’approcher les problèmes de classe. Ce point de vue ressemble à celui du « marxisme légal » russe qui enseignait d’attendre l’évolution du capitalisme et de la démocratie bourgeoise comme la condition préalable de la lutte de classe. Sans démocratie, pas de lutte pour le socialisme !
Le parti communiste refuse cette méthode primitive d’ajourner la révolution socialiste et ouvrière. Au contraire, une solution démocratique, pacifique, juste et convenable aux intérêts des pauvres et opprimés ne sera possible qu’après le renversement du capitalisme régnant, la défaite de l’impérialisme qui divise les peuples voisins et frères, la défaite des nationalismes réactionnaires et bourgeois.
Il est pourtant indiscutable, c’est notre devoir urgent de propager et organiser l’amitié entre les peuples, de protester contre la politique de guerre du gouvernement, de demander un cesse-feu sans condition.
Le PC(T) défend les droits nationaux du peuple kurde et s’oppose en même temps l’attitude pro-impérialiste et nationaliste des mouvements kurdes.
Initiative Communiste : Quelle est la stratégie proposée par le PC(T) à la classe ouvrière, à la paysannerie, au peuple de Turquie ?
La Turquie n’est plus une société arriérée. La classe ouvrière se développa surtout pendant et après les années 1950. En outre le mouvement communiste est bien expérimenté. On a survécu l’auto-liquidation gorbatchéviste et créé de nouveau un parti jeune sur les bases léninistes. Notre programme nommé « le programme du socialisme » envisage une révolution socialiste comme la seule voie qui puisse emmener le peuple a l’émancipation totale.
Notre lutte actuelle se base sur les principes de patriotisme anti-impérialiste, de la laïcité contre la réaction religieuse-fasciste. Actuellement nous constatons que seuls les communistes luttent vraiment contre le régime néo-libéral, pro-impérialiste et religieux, et croyons avec certitude que le PC arrivera à s’organiser plus profondément dans les rangs de la classe ouvrière et croître son influence politique dans peu de temps. Nos voix aux élections bien qu’elles soient insuffisante pour entrer au parlement, quadruplèrent de juin au novembre de l’année dernière et le parti est en train de grandir avec de nouveaux militants.
Initiative Communiste : Souhaites-tu transmettre un message aux lecteurs d’Initiative Communiste et aux militants du PRCF ?
Dans cet état du monde roulant rapidement vers une guerre terrible où les capitalistes chercheront une solution pour leur crise économique et politique, nous, les communistes, avons peu de temps pour nous préparer et nous devons vraiment accélérer. L’internationalisme prolétarien n’est point quelque chose d’abstrait et nous avons besoin les uns des autres, développer notre solidarité, se connaître mieux, travailler en coordination afin de minimiser l’influence des ailes opportunistes dans le mouvement ouvrier et de la gauche, et d’arrêter la barbarie capitaliste. Je souhaite une bonne nouvelle année aux militants du PRCF, et progrès dans notre lutte commune…